« Mes peintures dissimulent des corps meurtris, comme s’ils étaient sacrifiés. Des signes de leurs présences apparaissent puis s’effacent. Masqués ou invisibles ils ne cessent pourtant d’être présents. Chaque dessin ambitionne de préserver un secret. Au sein duquel se cache un message énigmatique. Les entrelacs de signes et de traits de couleur cherchent à scruter l’énergie qui nous entoure. Ils ne cessent de pourfendre le dessin comme dans une sorte de combat. Un combat pour tenter de s’approprier une infime touche de vérité enfouie dans l’invisible énergie. »
L’œuvre de Géraldine des Horts est un bouillonnement impétueux et une quête inlassable depuis ses débuts dans la peinture : traquer la force vitale qui se cache derrière le réel. Sa peinture est portée par une incandescence fougueuse et poétique, grave et vivifiante à la fois. À travers ses nus elle a su saisir le principe énergique de la vie, telles les femmes rubéniennes, à la nudité magnifiée, où circulent et s’agitent les forces d’un sang vif. De ces généreuses et plantureuses nudités elle a capté le sentiment heureux du corps enfin apaisé. Une paix trompeuse car dans ces emportements charnels, « ...la vie afflue et s'agite sans cesse, comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer. », comme l’écrivait Charles Baudelaire à propos des tableaux de Rubens. Dans ses toiles coexistent un état de grâce et une indomptable énergie qui témoignent des aspirations et des tourments de l’artiste : « J’ai tenté de créer à travers le corps des femmes toujours fascinant, quelque chose d’autre de plus que l’être lui-même, un prolongement de puissance et de sensualité, à travers une gestualité expansive et parfois rageuse. »
Mais à partir de 2020 l’artiste fait le choix décisif de s’affranchir du réel et de se délier du figuratif. Dès lors, son imaginaire déploie une approche poétique plus hardie, et s’engage dans un renoncement à toute représentation au profit d’un art de la suggestion en partant à la conquête de l’abstraction. Sa peinture prend désormais une autre dimension. Elle devient protéiforme, tourmentée et luminescente. Elle semble aborder les rivages d’un chaos indéfinissable. En réalité elle nous dévoile les profondeurs de son être, sa perception de l’homme et du monde, les méandres de ses inquiétudes, qui irradient la toile de pulsations colorées. Une fulgurance qui se métamorphose en constellations de traits et de couleurs qui nous interpellent. Mais le désir de l’artiste qui s’exprimait dans sa période figurative reste le même. Un désir obsessionnel de traquer l’imperceptible force vitale et incandescente qui nous entoure.
Dans son engagement vers une nouvelle architecture picturale, quelques touches figuratives viennent chevaucher l’abstraction comme des réminiscences de son évolution personnelle. Le clivage figuratif-abstrait devient obsolète. Et dans cette abstraction le dessin n’a jamais vraiment disparu. L’artiste sait que les peintres dialoguent en réalité avec l’art ancien : « On n’invente rien en Art, on réinvente. Depuis que le langage pictural existe, tout a été dit et il reste tout à dire. Mais différemment, tant que la quête du « moi » créatif, ce microcosme intime, s’impose. Une toile doit être le reflet de l’âme de son auteur. Et parfois elle lui révèle ce que lui-même ignore. »
Impétueuse, existentielle, sa peinture vibrionne sur la toile dans une chorégraphie d’entrelacs où dansent les traits, les aplats et les couleurs. Elle révèle toute la puissance de l’artiste qui tient dans la force de ses utopies, de ses désirs et de ses angoisses. « L’artiste est la main qui, par l’usage convenable de telle ou telle touche, met l’âme humaine en vibration », écrit Kandinsky en 1911. L’imaginaire pictural de Géraldine des Horts révèle une grâce poétique qui s’accompagne d’une vibration sismique sur sa propre existence : « Peindre est une façon d’exister et de sortir de moi-même, c’est-à-dire d’essayer de créer par une approche plasticienne une symbiose entre ce que je suis, ce que je vois, et ce que je ressens. Car le réel est trompeur et il nous dissimule tout un univers qui est considérable ». En choisissant le langage de l’abstraction l’artiste exprime son émotion de femme face à l’univers. Une émotion qui s’incarne dans son œuvre comme un organisme vivant constitué de lignes, de faisceaux et de variations polychromiques. Dans cette frénésie ondoyante et parfois chaotique, se révèlent les fragments d’un monde intérieur ou « les tracés dynamiques de l’inconscient » comme disait Jackson Pollock.
Cyril le Tourneur d'Ison